Loin d’être une vaine incantation, la souveraineté numérique est une exigence pour les États africains. Sur la question, les experts du domaine du numérique et des télécoms, réunis au Africa Open Innovation Summit (AOIS), les 20 et 21 octobre 2022 au Radison-Blu Abidjan, sont unanimes.
En revanche, les moyens pour y arriver posent un problème. Tout comme la compréhension du concept de la souveraineté numérique et ses fondements. Didier Kla, directeur d’Orange Business and Broadband d’Orange Côte d’Ivoire, n’y est pas allé de « bouche morte ». Pour lui, il faut se garder d’exclure la souveraineté numérique des pays africains, revendiquée par les opinions africaines, de l’ensemble des souverainetés dont ils ont besoin.
Extraits de sa contribution sur le haut panel sur les approches sous régionales pour un cloud de confiance en Afrique et celle de la souveraineté numérique en Afrique
Éviter de dissocier souveraineté numérique et souveraineté politique

« J’ai une petite contribution au débat pour l’enrichir. Je vais apporter certaines précisions qui me semblent essentielles. J’ai déjà, à plusieurs reprises, fait des contributions sur cette question de souveraineté numérique. C’est un terme vaseux, gros, important, mais on peut mettre, à la fois, tout et rien dedans.
D’abord, il faut qu’on donne un sens à ce qu’on appelle la souveraineté numérique pour bien le comprendre. Quand on parle de souveraineté numérique, il faut tenir compte d’un contexte international et de l’évolution du monde. Donc, il faut faire attention parce que parler de souveraineté, cela engage beaucoup d’intérêts contradictoires dans le contexte mondial. La question essentielle, c’est d’éviter de dissocier la souveraineté numérique de la souveraineté politique et de la souveraineté économique.
Les prérequis de la souveraineté numérique : Les infrastructures et des opérateurs souverains
Ne pas faire ce lien, c’est faire une erreur parce qu’on n’est pas face à des enfants de chœur. Quand vous êtes face à Google, Amazone, Facebook, Microsoft, ce qu’on appelle les GAFAM, des groupes très, très puissants, il faut faire attention. Les données, aujourd’hui, sont stratégiques pour les États. Lorsque vous parlez de souveraineté, vous aurez devant vous les grands États. Même les États européens ont du mal à aller vers la souveraineté face à ces géants du numérique. Et on ne sait pas qu’elle est la frontière de la souveraineté numérique. En quoi cela consiste ?
Donc, c’est un gros débat qui est vraiment vaste. Pour moi, parler de souveraineté numérique, il faut des prérequis essentiels, surtout pour nous, pays africains. Je rappelle que ça fait 60 ans qu’on est indépendants, et on n’a pas la souveraineté politique totalement, on n’a pas la souveraineté économique totalement. Je me demande comment en si peu de temps, on peut avoir la souveraineté numérique. Il faut prendre le temps de la construire. Et ça passe par des étapes essentielles.
Les prérequis de la souveraineté numérique : La formation
Notamment, les investissements dans les infrastructures télécoms, mais pas seulement. Dans l’énergie aussi ! L’énergie est essentielle. Il faut satisfaire nos besoins en énergie. La souveraineté numérique suppose aussi la souveraineté des opérateurs télécoms ! Un pays qui veut être souverain doit pouvoir avoir, au moins, le contrôle de ses opérateurs ! C’est quelque chose aussi qu’il faut régler. Et il y a l’incompétence. On ne peut pas parler de souveraineté sans compétence ! J’ai la chance d’être un des vieux acteurs des télécoms en Côte d’Ivoire ici. Personne n’a construit plus de réseaux que moi depuis 25 ans.
Il faut se concentrer sur ce qui est essentiel : la formation de nos jeunes. J’ai été directeur technique pendant 10 ans, j’ai construit tout type de réseaux depuis 20 ans, mais aujourd’hui, on a un vrai problème de compétence. Les technologies évoluent à une vitesse exponentielle, mais les compétences, on n’en a pas ! On parle de 4G, 5G, mais combien y a-t-il d’ingénieurs en Afrique ou bien même en Côte d’Ivoire ici, qui connaissent profondément ces technologies ?
De la Cybersécurité et Cyber-résilience
J’ai entendu aussi les gens parler de cybersécurité, mais aujourd’hui la cybersécurité est dépassée ! On ne parle plus de cybersécurité, on parle plutôt de cyber-résilience qui inclut la cybersécurité. Il y a tellement d’évolutions rapides que nous, États africains, on doit savoir mettre en place une réelle stratégie qui va nous conduire progressivement à la souveraineté numérique. En définissant nos jalons, en priorisant nos actions.
Et je crois que c’est quelque chose d’essentiel qu’il faut comprendre et connaitre pour ne pas aller dans tous les sens et rien faire à la fin. » Voilà de quoi alimenter davantage le débat. En attendant de trouver de réelles solutions.
K. Bruno