La force d’internet porte en elle les germes d’un paradoxe : la fracture numérique ou l’inégal accès à la société de l’information. Pis, les anciens sont largués.
À la société industrielle caractérisée par des médias de masse tels que la radio et la télévision, succède la société de l’information, caractérisée par des médias individualisés et interactifs tels qu’internet.
Ceux-ci bouleversent le traitement et la conservation de l’information et modifient le mode de fonctionnement des organisations et de la société tout entière. Ils sont employés dans les loisirs, le travail, la vie pratique. D’eux, émergent de nouveaux comportements. Sauf que tout le monde n’y a pas accès ou y a accès différemment. D’où la notion de « fracture numérique » qui reste d’actualité.
Fracture numérique en français facile
Selon le graphiste Martin Venezky, « la fracture numérique (…) constitue l’inégale capacité à accéder, au sens propre du terme, aux ressources d’internet à cause d’un accès physique limité ou de difficultés à contrôler les mécanismes de communication ou l’incapacité à comprendre ce qui est rapporté ».
De cette définition se dessine le tableau d’une société de la communication en deux versants : celui qui reçoit la lumière et celui qui demeure dans l’obscurité. D’un côté, les « info-riches » qui ont accès aux TIC et ont les connaissances requises pour les utiliser et en recevoir les messages, et qui peuvent donc communiquer avec le reste du monde ; et de l’autre, les « info-pauvres » qui n’ont pas accès aux TIC et à Internet, qui ne savent pas les utiliser et qui ne peuvent donc pas agir dans un monde désormais régi par l’information.
L’analphabétisme, un ressort de la fracture numérique…
À l’international, la fracture numérique s’observe entre les pays pauvres et les pays riches. Au plan national, en Côte d’Ivoire, par exemple, entre les populations défavorisées et les populations aisées. Une explication toute simple est celle des inégalités socio-économiques et culturelles face à l’utilisation des technologies et au traitement de l’information.
Les statistiques de l’Unesco montrent que le taux d’alphabétisation dans les régions les plus développées était de 98,7 % contre 70,4% dans les moins développées. En Côte d’Ivoire, il est de 56%. Difficile, voire impossible de tirer profit du digital quand on ne sait ni lire, ni écrire. « Pour faire un dépôt d’argent à ma mère, je suis obligé de passer par quelqu’un d’autre. Elle ne saurait retenir un code, encore moins, entrer la syntaxe de retrait d’argent parce qu’elle n’est pas allée à l’école », explique Elisabeth K., institutrice à Abidjan.
Il apparait donc évident que seule une élite restreinte peut réellement bénéficier des bienfaits du réseau internet.
L’utilisateur typique du digital
« L’internaute typique dans le monde est un homme de 35 ans qui a fait des études supérieures, qui dispose d’un revenu élevé, habite la ville, parle anglais », écrit-il.
La fracture numérique est donc avant tout une fracture éducative dont les causes sont autant sociales que technologiques. Il subsiste une sorte de caste d’exclus qui semble être vouée à l’échec et à la pauvreté, n’ayant accès à l’information, ou pire, ne sachant la traiter. Elle ne peut agir dans la nouvelle société régie par la connaissance.
Selon la Banque mondiale, la Côte d’Ivoire compte 9 millions d’utilisateurs des moyens digitaux sur une population générale de 28 millions. Près de 20 millions d’Ivoiriens n’ont donc pas accès à internet. Ceux-ci sont des « ignorants », faciles à manipuler pour des besoins politiques, sociaux, économiques et culturels.
Génération internet, des revenus par le digital
En face, une génération tout entière apparaît en mesure d’utiliser ces médias pour améliorer son niveau de vie et profiter pleinement des effets bénéfiques de l’économie du savoir. Toujours en Côte d’Ivoire, sur les 9 millions d’utilisateurs, 7% savent tirer profit des moyens digitaux. En d’autres termes, l’agitation autour des réseaux sociaux et internet, concerne moins 700 mille Ivoiriens. Et beaucoup parmi eux gagnent leur vie grâce à cette agitation par un mécanisme publicitaire spécifique.
Cette génération de l’internet repose sur une double médiation : elle est façonnée par les transformations de la société, engendrées par les technologies, et elle se définit par les relations qu’elle entretient avec ce média qu’elle a su s’approprier.
Les principales sphères de la société que constituent la pédagogie, la culture d’entreprise, les modes de consommation et la citoyenneté, le mode d’influence, s’en trouvent ainsi modifiées. Les individus de la génération internet se sont construits socialement en même temps qu’un nouveau moyen de communication totalement interactif s’est mis mettre en place.
Ces enfants imposent leur culture
Plus que le simple « témoin » de la révolution informationnelle, la génération internet est elle-même vectrice de transformations et d’enjeux sociaux par les relations qu’elle entretient avec ce média. Mieux, elle se différencie des générations qui la précèdent puisqu’elle grandit entourée des TIC et acquiert. Dans la génération internet, les anciens sont complètement largués.
Ces enfants, nos enfants apprennent, jouent, communiquent, travaillent et créent différentes communautés de celles de leurs parents par l’usage d’internet. Grâce à leur dynamisme, ils imposent leur culture au reste de la société, et tout laisse à penser que les générations futures, descendantes de cette génération, grandiront, elles aussi, en interaction avec des technologies plus avancées.
Cependant, la mise en place d’une nouvelle pédagogie, d’une nouvelle culture d’entreprise, l’émergence de nouveaux modes de consommation constituent autant d’enjeux auxquels toute la société, et non une partie, doit pouvoir faire face.
À la fin des fins, le monde se coupe en deux. Et des spécialistes mettent en garde contre le risque d’une nouvelle forme de fragmentation du savoir et de la connaissance : « quelques-uns sachant beaucoup, d’autres ne sachant rien, et personne ne sachant la même chose ».
K. Bruno