La guerre de la Russie contre l’Ukraine ouvre la perspective d’un sabordage des câbles sous-marins par lesquels transite le réseau internet mondial. Et si demain le monde était privé d’internet.
Au début du mois de novembre 2016, un pays est touché par l’une des plus grandes cyberattaques de l’histoire. On pourrait pu penser aux États-Unis Que non ! Il y a eu pire. Des hackers ont paralysé toutes les infrastructures de télécommunications du Liberia, rendant l’accès à internet impossible.
Et si le président russe coupait internet

Le 2 mars 2022, le président russe, Vladimir Poutine, menace de « conséquences encore jamais connues » ceux qui s’opposeraient à lui. Il cible l’Europe et les Etats-Unis. Au-delà des attaques nucléaires plus ou moins probables depuis le déclenchement de la guerre Russie-Ukraine, les observateurs avertis envisagent des attaques au réseau internet mondial. Le chef du Kremlin le peut. Il en a les moyens.
« Ce qui est considéré en Europe comme hautement probable serait la possibilité de couper l’un des grands câbles transatlantiques qui relient le continent au reste du monde », explique Serge Besanger, professeur à l’École de commerce international de Paris et de Lyon, interrogé par le journal français Le Point. Il suffirait à la Russie d’envoyer dans les eaux internationales un « bateau de pêche » ou des bâtiments océanographiques pour effectuer ces opérations de sabotage.
Une réponse aux menaces occidentales

D’ailleurs, en ce moment, indiquent les services maritimes britanniques et français, des navires russes parcourent les océans aux larges des côtes de la France et de l’Irlande par lesquelles, justement, passent ces autoroutes de l’information du fond des mers. Pour empêcher ces navires russes d’opérer, il faudrait pouvoir envoyer sur place des patrouilleurs et des frégates. Or, les flottes européennes, principalement françaises, sont en sous-nombre, à la suite des réductions de budgets décidés par l’Europe depuis dix ans.
Autrement dit, les Européens en guerre contre la Russie à cause de ses opérations militaires en Ukraine pour « tenir l’OTAN loin de ses frontières » n’ont pas les moyens de défendre leurs câbles sous-marins, faute de navires de défense de leurs infrastructures. Les occidentaux ont bien perçu le danger. Sous leur influence, ICANN (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers) la structure internationale qui gère noms de domaine internet, DNS dans le monde, a refusé de donner une suite favorable à la demande de l’Ukraine de débrancher la Russie de l’internet. À défaut, les conséquences auraient été désastreuses pour le monde.
Le sabotage des câbles sous-marins ne serait pas nouveau
La déstabilisation du réseau internet est donc écartée, du moins pour l’instant. Toutefois, si cela arrivait un jour, ce ne serait pas nouveau. En 2017 et 2018, plusieurs mètres de faisceaux de fibre optique, au fond des eaux, ont été arrachés. Plus loin en arrière, au XIXe siècle, les premiers câbles télégraphiques traversant les océans, écrit Le Point, étaient au cœur d’une « guerre hybride » sous les mers entre les grandes puissances.
Pour beaucoup, les smartphones, ordinateurs et autres machines informatiques sont reliés les uns aux autres par des connexions satellitaires, par des ondes hertziennes, ou encore par du wi-Fi. Hélas non ! La quasi-totalité de nos communications électroniques, y compris nos échanges vocaux par mobiles, dépendent à 99% des câbles sous-marins.
Pourquoi les câbles sont-ils enfouis sous la mer ?

Le choix des fonds de mer n’est pas fortuit. Un expert des télécoms donne des éclairages : « Il s’agit tout d’abord d’un problème de capacités. On aurait pu transporter le réseau internet par satellite, mais la conséquence aurait été une faible capacité de transmission et de stockage des données. Avec le câble, nous disposons davantage de bandes passantes ou, si vous voulez, de capacités, de volume ».
Ensuite, le transport d’internet par le satellite aurait assujetti le réseau aux perturbations atmosphériques, provoquant des pertes de connexion à la moindre intempérie. « Cette instabilité n’existe plus, dès lors que les câbles sont enfouis au fond des océans, à l’abri des variations atmosphériques. À l’intérieur de ces câbles, qui sont de véritables boucliers de protection, se trouve la fibre optique », précise l’expert en télécoms. Ces câbles partent tous du hub central de Londres, d’où un serveur racine ou serveur DNS (Système de nom de domaine) permet d’associer à un site web (ou un ordinateur connecté ou un serveur) une adresse IP, comme un annuaire téléphonique permet d’associer un numéro de téléphone à un nom d’abonné.
La fibre optique, elle, désigne le support et la technologie associés à la transmission des informations sous la forme d’impulsions lumineuses dans un fil ou une fibre de verre ou de plastique, jusqu’à 200 environ. Elle permet d’atteindre les meilleurs débits Internet. Alors que le débit théorique maximum offert par l’ADSL est de 15 Mb/s, le débit théorique offert par la fibre est de 100 Mb/s minimum. « Raison pourquoi la fibre optique est le meilleur support de transport d’internet », fait observer l’expert.
La carte des câbles sous-marins

Un câble sous-marin, selon Wikipédia, est un câble posé sur le fond marin (ou quelquefois ensouillé, c’est-à-dire enterré) et destiné à acheminer des télécommunications ou à transporter de l’énergie électrique. La plupart des télécommunications mondiales transitent par des câbles sous-marins. Leur nombre augmente régulièrement : ils étaient environ 263 en 2014, puis 378 en 2019 et 406 en 2020.
Les câbles sous-marins sont mis en place et maintenus par des navires câbliers, après reconnaissance bathymétrique pour repérer le trajet idéal : le plus court et sans risque pour le câble. Par des faibles profondeurs, et lorsque la nature du fond le permet, les câbles sont généralement ensouillés à l’aide d’un outil marin de type charrue à soc creux afin de minimiser les risques de crochage par le train de pêche des chalutiers. Les câbles ont, en général, un diamètre de 69 mm et pèsent environ 10 kg/m, même si des câbles plus légers et plus fins sont utilisés pour les sections en eaux profondes.
Il suffit d’un rien pour que tout s’arrête
Dans la guerre Russie-Ukraine, les menaces et contre-menaces se succèdent. La capacité de la Russie à saboter les câbles est évidente. Aux sanctions et menaces des Européens et des Américains, attaquer le réseau sous-marin serait, pour ce pays, une démonstration de puissance. Pour sûr, le monde vit sous la menace d’un black-out de l’internet. Mais à quoi pourrait ressembler ce monde ?
Un monde d’âmes errantes ignorant toute réponse, sans boussole ni balance. Un monde au départ de nouvelles habitudes, pourtant anciennes, comme l’écriture à la main, la lecture, la recherche par les livres et dans les livres. Un monde où il faudra rassembler les débris de ses souvenirs pour construire le château ou mourir. Un monde sans internet ? Il n’y aurait rien de pire. Ou peut-être ce monde serait-il plus beau, moins artificiel. Personne ne croit cela possible. On vit sans crainte sur un chemin déjà tracé. Pourtant, cette guerre nous rappelle que rien n’est impossible à celui qui peut.
K. Bruno