Selon Franck Herbert, auteur de « La maison des mères », la corruption revêt des déguisements infinis. La société ivoirienne porte plus que des déguisements. La corruption est devenue la norme. La dénonciation apparait comme un sésame !
SPACIA, le sésame de la lutte contre la corruption
La lutte contre la corruption en Côte d’Ivoire prend un nouveau virage : La dénonciation. La sensibilisation n’a rien donné entretemps. Un décret datant du 13 avril 2022 institue la plateforme SPACIA. Celle-ci est officiellement opérationnelle depuis le 11 juillet 2022. Elle vise, selon le Premier ministre Achi Patrick, à accroître la participation citoyenne dans la lutte contre la corruption, à insuffler et instaurer l’intégrité et la transparence dans la gestion et la gouvernance des affaires publiques.
« La plateforme nationale du Système de prévention et de détection des actes de corruption et infractions assimilées dénommée spacia.ci est un outil de signalement institué par le gouvernement. Nous invitons la population à dénoncer tout acte de corruption à travers spacia.ci », précise Zoro Épiphane Ballo, ministre de la Promotion de la bonne gouvernance et de la Lutte contre la corruption.
Spacia.ci épingle 70 fonctionnaires
L’appel est pris au mot. Les dénonciations s’accélèrent. 51 cas de corruption sont signalés en deux semaines. SPACIA dispose d’un site web (www.spacia.gouv.ci), d’un numéro vert gratuit (1345), quel que soit l’opérateur de téléphonie, et d’un bureau dans la commune du Plateau où tout citoyen peut déposer ou dénoncer, avec preuves à l’appui, tout cas de corruption.
Si l’histoire est crédible, l’autorité compétente s’en saisit pour prendre des sanctions envers le fonctionnaire fautif. L’histoire s’est avérée crédible pour 70 fonctionnaires et agents de l’Etat. Les accusations de corruption portées contre eux ont été prouvées. Ces derniers proviennent de plusieurs administrations, notamment la santé, la justice, la sécurité et les transports.
Top 5 des signalements d’actes de corruption
Mais, les secteurs les plus corrompus identifiés par le gouvernement sont la Construction, la Défense, l’Intérieur, l’Agriculture et les Transports. Ils constituent le Top 5 des signalements d’actes de corruption, au dire du ministre. Les associations et ONG de lutte contre la corruption se frottent les mains. Leur combat porte des fruits. Cependant, elles en demandent plus.
La corruption en chiffres
C’est que la corruption fait perdre à la Côte d’Ivoire 1 300 milliards de FCFA chaque année, soit 4% du Produit intérieur brut (PIB). C’est l’équivalent de près de trois fois l’aide publique au développement, de 64% du service de la dette. Bien plus, l’indice de perception de la corruption dans le secteur public était de 64 points en 2021, sur une échelle de 0 à 100, selon Transparency International.
Plus le score est élevé, plus la corruption est massive. La Côte d’Ivoire occupe ainsi la 105ᵉ place mondiale sur 185. Autant de chiffres qui compromettent l’équilibre économique et social d’un pays aussi sous-développé, alerte le ministère ivoirien de la Promotion de la bonne gouvernance et de la Lutte contre la corruption.
La corruption est diffuse, infuse, profondément enracinée dans la société ivoirienne. Selon les autorités administratives, les principales attitudes qui encouragent la corruption sont le manque de morale ou d’éthique des agents publics (21.7) et l’impunité des actes de corruption (19.0), la recherche de gains facile (15.2) et les lenteurs administratives (14.5).
Corruption : la charge d’un lexique
Charge d’un lexique, la corruption est la perversion ou le détournement d’un processus ou d’une interaction avec une ou plusieurs personnes dans le dessein, pour le corrupteur, d’obtenir des avantages ou des prérogatives particulières ou, pour le corrompu, d’obtenir une rétribution en échange de sa complaisance. Faire un cadeau pour un service rendu est aussi un acte de corruption.
Cas pratique. Nous sommes à la veille des épreuves du Bac de la session 2021. André K., parent d’un candidat, est contraint de produire un certificat de nationalité à son fils, au Tribunal de première instance d’Abidjan. Il en a besoin pour lui établir une attestation d’identité. Il est dans l’urgence. « J’ai payé 10 mille francs CFA pour obtenir un document qui coûte 1500F », explique-t-il.
Le reste du pécule a circulé dans les poches d’intermédiaires. Aucun secteur n’échappe à la gangrène. Que faire face à la saignée financière occasionnée par ce qui est considéré dans le langage populaire comme un fléau ?
Dématérialiser les services publics
Pour Zoro Épiphane Ballo, l’une des solutions de la lutte contre la corruption est la digitalisation des services et des actes administratifs. Cela n’empêche, certes, pas la corruption, mais la dématérialisation a l’avantage d’éliminer les facteurs humains, de sacraliser le mérite au détriment de la complaisance. Plusieurs plateformes numériques conçues, à cette fin, par les services publics, essaient de contrarier les velléités des corrupteurs et des corrompus.
Entre autres, un portail public des démarches administratives, ouvert en 2017 www.servicepublic.gouv.ci. Pas exploité ou insuffisamment exploité à cause de dysfonctionnements inhérents, ce lien, s’il est professionnalisé, sécurisé et vulgarisé, pourrait, eh bien, réduire les actes de corruption. « Si on peut faire la demande de certificat de nationalité, par exemple, à partir de ce lien, et qu’on est sûr de l’obtenir, sans se déplacer au tribunal en un jour ou deux, imaginez le gain ! », se met à rêver André K., le parent d’élève.
En attendant, ce portail rassemble l’ensemble des procédures administratives déjà dématérialisées ou non. Via une interface graphique moderne et fluide inspirée des meilleurs exemples internationaux.
Spécificité d’un portail
Le site permet d’accéder à toutes les informations nécessaires à la réalisation des procédures dématérialisées, et offre le lien direct d’accès à la démarche en ligne. Il propose toutes les informations nécessaires à l’usager pour qu’il prépare sa documentation et facilite sa demande lors de son déplacement à un guichet de l’administration.
Quelques procédures administratives dématérialisées en tourisme et voyage, en demande d’authentification du BAC, BEPC, CEPE, CAP, CEAP, DIS, DIAS, en procédures d’attribution et de renouvellement de bourses en classe de sixième et seconde (enseignement général et technique) y figurent.
Le ministère de l’Agriculture et du Développement rurale affiche, lui, les procédures de demande d’agrément, distributeur, revendeur, applicateur, homologation de produits phytosanitaires, quand le ministère de la Santé et de l’Hygiène Publique oriente sur les consultations externes (avec prescription), l’imagerie médicale (radiographies), et la production de duplicata d’acte de naissance et du certificat de genre de mort. Bien d’autres services sont disponibles.
« Le premier signe de corruption, dans une société encore vivante, c’est que la fin y justifie les moyens. Mais la preuve que la nôtre n’est plus vivante, c’est que les moyens sont devenus la fin. Ils n’ont ainsi besoin d’aucune justification », écrit Georges Bernanos, « La liberté pour quoi faire » (1953). Vu ainsi, la société ivoirienne n’est plus vivante. Gageons que spacia.ci la ressuscite.
Dossier réalisé
Par K. Bruno