Les usagers du transport ont une perception positive du numérique dans les pratiques de mobilité à Abidjan. Toutefois, leur satisfaction reste mitigée.
À Abidjan, l’explosion démographique et l’étalement urbain engendrent un besoin croissant de mobilité que les offres de service existantes peinent à satisfaire. Les solutions pour améliorer la mobilité de la population, voire résoudre les problèmes du secteur du transport, tardent. Les technologies de l’information et de la communication (TIC) apparaissent donc comme une opportunité. Des applications mobiles sont alors développées, pour d’une part mettre en relation l’usager et le transporteur, et d’autre part offrir de meilleures conditions de déplacement.
VTC : flexibilité, sécurité et accessibilité
L’utilisation des applications mobiles dans le transport public est apparue en Côte d’Ivoire avec l’arrivée des véhicules de tourisme avec chauffeur (VTC) d’Africab en 2016, suivie par Izicab, TaxiJet, Drive, Uber et Yango. Ces véhicules connectés venaient ainsi régler, selon les Abidjanais, des problèmes qu’ils rencontraient dans les moyens de transport habituels : flexibilité, sécurité et surtout accès aux cités interdites aux taxis compteurs traditionnels à certaines heures de la nuit.
À l’époque, avec Africab, DK, habitant de la Riviera Allabra, se souvient qu’il pouvait sortir et revenir à n’importe quelle heure de la nuit sans être obligé de descendre au portail principal de sa cité sur injonction des vigiles affectés à la sécurité. « C’était un service inédit, en son temps », soutient-il. Malgré le déclin d’Africab en 2020, Yango, une autre entreprise proposant les mêmes services VTC, a pris le relais, et s’impose aujourd’hui sur le marché du transport intelligent comme l’opérateur principal. « Il est formellement interdit aux taxis d’entrer au campus. Mais lorsque je viens avec Yango, les vigiles me laissent entrer », admet une employée de l’administration universitaire.
Les VTC, qui font désormais partie du quotidien des Abidjanais, procurent, en plus, une certaine sécurité grâce au suivi par GPS et aux applications offertes par les entreprises de transport. Le client sait où se plaindre en cas de désagrément ou d’oubli d’objet, les références du véhicule étant connues. Au demeurant, avec l’arrivée prochaine de la nouvelle offre Mon Woyo, spécialement consacrée aux taxis-compteurs, le marché des véhicules de transport connectés pourrait connaitre une agitation dont l’usager devrait tirer un avantage concurrentiel.
VTC, inaccessible aux revenus modestes
Toutefois, les VTC restent moins accessibles aux populations à revenus modestes. Ils sont plutôt réservés à une certaine classe moyenne. Les usagers reconnaissent, en effet, que Yango assure certes, une disponibilité régulière de sa flotte, mais que le coût de ses prestations est plus élevé que celui des taxis ordinaires. « Pour le même trajet, je paie beaucoup plus avec Yango, entre 2 000 et 2 500 FCFA, alors qu’avec le taxi ordinaire, je paie entre 1 000 et 1 500 FCFA », déplore un usager. À la différence que les conditions du voyage sont nettement plus confortables et plus sécurisés avec les VTC.
Faire face aux difficultés de mobilité à Abidjan
Pour le reste, les difficultés de mobilité à Abidjan (6 millions d’habitants) sont exacerbées par une spécialisation fonctionnelle de l’espace : le regroupement des emplois formels (administration, banque, industrie, etc.) dans la partie sud (Marcory, Treichville et Plateau), et une forte concentration de l’habitat au nord. Ce qui est à l’origine des mouvements pendulaires. Selon une enquête de l’Institut national des statistiques, 79,6% des Abidjanais travaillent hors de leur lieu de résidence ; en moyenne un individu effectue 2,6 voyages par jour. Or, l’offre des transports formels et informels est loin de garantir satisfaction en quantité et en qualité.
Le numérique au service du transport urbain
Un début de solution est l’ensemble des innovations fondées sur les TIC qui émerge dans les transports de masse. La Société des transports abidjanais (SOTRA) et les entreprises de transport lagunaire (STL, CITRANS) disposent, désormais, de centres de contrôle opérationnel (CCO) équipés d’écrans qui assurent la supervision de leurs réseaux. Le contrôle du trafic se fait à l’aide de vidéo surveillance et de tableaux de bord permettant d’être saisies d’éventuelles difficultés. La transmission des données au centre de contrôle des opérations affiche des données claires comme le nombre de passagers et les recettes effectuées en temps réel.
De plus, l’offre de transport est conçue à l’aide d’un système informatique appelé HEURES. Un système d’aide à l’exploitation et à l’information recueillant toutes les informations à bord des navires, à travers les pilotes box, des boîtes semblables à la boîte noire des avions. Il en découle une gestion plus intelligente de la flotte de véhicules et de bateaux de ces entreprises afin de réduire le temps d’attente des usagers aux arrêts et gares.
Cette gestion automatisée s’applique dans les ateliers de réparation des bateaux. Les pièces de rechange, gérées par l’informatique, sont remplacées en temps opportun, les dates d’usure étant connues à l’avance. Et l’organisation du travail n’y échappe pas.
La billetterie électronique
Enfin, la billetterie électronique, une technologie pas tout à fait nouvelle. Pour la SOTRA, elle permet, en sus du règlement du problème de monnaie, de contrôler et de sécuriser ses recettes, de connaître sa trésorerie avant exploitation et de gagner en temps aux arrêts de bus. L’utilisation de la carte de transport numérique évite les contacts entre conducteurs et usagers et sécurise les agents souvent agressés. La manipulation des espèces exposant à des vols.
Transport de masse connecté
Côté confort du voyage, le wifi s’est invité dans le transport collectif terrestre avec le projet Wibus de la SOTRA : des autobus de taille moyenne, d’une capacité de 27 places assises, destinés aux dessertes intra-communales. Hélas, ces engins ont perdu de leur confort en raison de l’absence d’air conditionné et de l’irrégularité du wifi. En outre, ce réseau s’est atrophié et les bus sont rarement à l’heure aux arrêts.
L’Etat, lui, a mis en place le Système de transport intelligent (STI), une technologie d’amélioration de la sécurité routière (12 553 accidents de la voie publique en 2018 dont 1 509 tués, OSER, 2019), qui pourvoit des outils performants de maîtrise de la mobilité des personnes et des biens.
Le contrôle du trafic routier, le développement d’un système d’information en temps réel sur le trafic et la création d’un système de gestion des stationnements sont les principales opérations effectuées dans le cadre de ce projet. Des caméras sont installées partout en ville sur les artères de circulation, et les infractions au code de la route sont détectées électroniquement grâce à un réseau de radars fixes et mobiles.
Il reste à s’assurer que ces nouvelles offres occupent davantage l’espace public. Quoi qu’il en soit, le transport intelligent est en roue libre, à Abidjan, en Côte d’Ivoire.
K. Bruno